Quand on montait de Munster à la Schlucht en une heure
De 1907 à 1914, des milliers de Français et d’Allemands ont emprunté le tram qui reliait Munster au col de La Schlucht, en longeant la petite vallée de Munster.
C’était la plus haute voie ferrée de l’Empire allemand, celle qui permit de développer le tourisme au col de La Schlucht au début du XXe siècle, mais aussi de contempler, d’un côté, les terres alsaciennes perdues, de l’autre, les Vosges françaises. La Schlucht était alors l’un des postes frontière entre l’Empire et la France. Dès 1902, un projet avait été mis à l’étude pour établir une voie ferrée entre Munster et la Schlucht, et le 13 mai 1907, la voie est inaugurée. Durant sept ans, ce tramway électrique convoie 409 534 passagers à la belle saison.
Son départ se faisait juste à côté de la gare de Munster. On pouvait donc quitter Colmar par le train jusqu’à Munster (ligne inaugurée en 1868), faire quelques mètres à pied et monter dans le tram pour se rendre jusqu’au col de La Schlucht. Il fallait alors compter une heure de voyage, la vitesse de croisière étant, au plus fort de sa puissance, de 17 km/h. Les arrêts étaient nombreux : Hohrod, Stosswihr, Ampfersbach, Rosselwasen, Schmelzwasen, Saegmatt et Altenberg.
Jusqu’à l’hôtel des grands
L’originalité de ce tram, selon l’historien Gérard Leser, est qu’il combine une partie de 10,8 km en adhérence normale et une autre de près de 2,8 km à crémaillère afin de grimper des pentes de 22 %. Il était en adhérence normale de Munster au fond de la vallée de Stosswihr. Il commençait par rouler en ville, où il marquait des arrêts, puis suivait la route et la quittait à gauche de l’église catholique de Stosswihr, jusqu’au restaurant des Cascades, la dernière station « à plat ». Pour grimper la pente à 22 %, il empruntait une crémaillère installée grâce à du matériel suisse jusqu’à la route devant l’emplacement de l’Altenberg où avait été construit à l’initiative d’Alfred Hartmann, issu de la famille d’industriels munstériens, un hôtel de luxe. Cet hôtel, où sont passés notamment Raymond Poincaré, futur président de la République, la reine Wilhelmine des Pays-Bas et les fils de l’empereur Guillaume II, était même pourvu d’un terrain de tennis au Montabey et d’un golf aux Trois-Fours. Au pied de l’hôtel, le tram était de nouveau en adhérence normale.
Victime de la guerre
Le tramway cesse de fonctionner le 3 septembre 1914 quand les Allemands coupent le courant qui l’alimente à partir d’une centrale à Munster, ce qui fait dire à Gérard Leser que « le tram a été victime de la Première Guerre mondiale ». La guerre venait d’être déclarée et les Français utilisaient ce tram pour le transport des troupes. Une sous-station fonctionnait à la Grossmatt et deux groupes moteurs à la Saegmatt. L’un des générateurs électriques a été rembobiné et il fonctionne toujours à La Bresse, précise Jean-Marie Valentin, l’un des accompagnateurs de montagne de la Schlucht qui organisent des randonnées sur les traces du tram (lire ci-dessous).
De ces traces, on devine plus qu’on ne découvre encore des reliques, car les voies ont été démontées pour construire des abris militaires par la suite. En forêt, on retrouve le tracé de la partie à crémaillère, qui a laissé deux sillons, ainsi que les petits fossés et la sensation du ballast sous les pieds sur la partie Schlucht-Hohneck (lire ci-dessous), la dameuse empruntant encore son passage en hiver.
De Gérardmer jusqu’à la frontière, sur les crêtes
La première ligne de tramway à rallier le col de La Schlucht montait de Gérardmer : elle fut inaugurée en 1904 et continuait jusqu’au col du Hohneck.
Aux débuts du tourisme, pour faire découvrir les crêtes vosgiennes aux Français, la ligne de tramway électrique Gérardmer-Schlucht effectua son premier trajet le 29 juin 1904, départs toutes les heures à la gare, entre 7 h et 18 h. Neuf de ces trams poursuivaient leur chemin jusqu’au Hohneck, « à 500 m à vol d’oiseau de l’hôtel du Hohneck », d’où la vue s’étendait jusqu’aux fonds de vallées vosgiennes et sur les sommets alsaciens.
De grands travaux avaient été nécessaires pour réaliser cette ligne, notamment un tunnel à proximité de Retournemer, long de 14 mètres et creusé dans le rocher, et une tranchée de 12 m de profondeur au-dessus du col des Feignes.
Quand la ligne de tram Munster-Schlucht fut ouverte (en 1907, lire ci-dessus), le trajet entre Gérardmer et Munster durait deux heures trente. Les deux lignes n’étaient pas reliées, mais il suffisait de faire quelques pas au col de La Schlucht pour passer d’une gare de tram (à l’emplacement du bâtiment en forme de locomotive marqué 1904, face à un parking) à l’autre (juste avant l’actuel hôtel du Grand Tétras, en venant de Munster) pour descendre sur le versant opposé. « On passait alors très facilement la frontière au poste de douane », relève l’historien Gérard Leser.
Concurrencée par le bus
Très prisée des touristes, cette ligne Gérardmer-Schlucht-Hohneck le devient des militaires dès 1914 pour son importance stratégique, essentielle pour le régiment du 15-2 replié à Gérardmer. Ainsi, en août 1915, la voie du tram vers le Hohneck est déplacée par les militaires au passage du col du Falimont sur 620 m, à 5,50 m sous le tracé premier qui était visible par les Allemands.
À la fin de la guerre, la ligne reprend du service jusqu’à la survenue d’un grave accident en 1923 (lire l’encadré). Suite à cet accident, la ligne est de nouveau exploitée à partir de 1924 par un particulier avant d’être rachetée par le Département des Vosges, mais à partir de l’été 1926, la ligne en direction du Hohneck n’est plus utilisée. Au cours des années 1930, le tram est grandement concurrencé par les autobus (ainsi qu’on peut le voir sur certaines photos) et la ligne est définitivement suspendue le 28 août 1939. Les rails sont démontés en 1942 et la ligne est déclassée en 1950.
Accident mortel
Le 14 juillet 1923 survient un accident jugé très grave à l’époque, qui fit deux ou quatre morts (les sources divergent). Deux automotrices se télescopent entre le Hohneck et la Schlucht. Pour une raison inconnue, la voiture qui venait d’arriver au point terminus de la voie, au Hohneck, se met soudain à reculer, sa soixantaine de voyageurs étant encore à bord. Or 800 m plus bas, montait une seconde voiture. Le conducteur de cette voiture, M. Gille, sonna l’alarme, stoppa et demanda à ses voyageurs de descendre. Accrochées l’une à l’autre, les deux voitures dérivèrent sur 1300 m et finirent par quitter les rails dans une courbe. Côté talus et non côté ravin… Bilan : plusieurs morts, une trentaine de blessés et deux automotrices complètement détruites.