L'histoire du tramway des Trois-Epis

L'histoire de ce tramway commence en 1899, sous le régime allemand, et se termine en 1933. La ligne, construite par une firme de Nuremberg, partait de Turckheim sur la rive gauche de la Fecht, à la hauteur de l'actuelle place de la République. Elle suivait la berge jusqu'au pont supérieur, où elle passait sur le côté droit de la route des Trois-Epis, s'arrêtant au "Vogesahisla". Là, elle pénétrait dans la forêt, se dédoublait sur quelques mètres au Frauenberg pour permettre le croisement, au niveau du parking actuel, et par le Hunabuhl rejoignait la route de Niedermorschwihr, puis grimpait jusqu’a l'hôtel de la Croix d'Or, le terminus.
Pour monter les 400 mètres de dénivellation et parcourir un trajet long de 8.700 mètres, il fallait au début 55 minutes, plus tard 35 et même 30 minutes seulement, grâce à un sprint initial de 15 km à l'heure. A Turckheim, on avait construit une centrale électrique alimentée au charbon, située à la sortie de la ville sur les Wannmatten. Elle a disparu en 1982 pour faire place aux bâtiments modernes de l'EDF.
Comme les Trois-Epis constituent le balcon de Colmar et de sa région, beaucoup de promeneurs et d'amis de la nature s'y rendaient volontiers, surtout les dimanches et jours fériés de la belle saison. Beaucoup de Colmariens y avaient une résidence secondaire. La construction de la ligne de tramway fut donc saluée comme un événement susceptible de donner une forte impulsion au tourisme, comme au célèbre pèlerinage. Le tram ne circulera que d'avril à octobre, jamais la nuit. En 1900, on prenait ce tramway pour jouir des beautés de la nature plutôt que pour gagner du temps. Dans l'esprit de ceux qui s'en souviennent, il représente ce que le promeneur d'aujourd'hui cherche toujours pendant les jours de détente : un air pur, la liberté dans l'observation de la nature, la convivialité, la fête, en quelque sorte le temps de vivre. Il semble que la reine Juliana de Hollande y ait même goûté, avant la Première guerre mondiale. C'était en fait l'époque héroïque, celle des 15 premières années. Trois trams combinés grimpaient doucement, tranquillement la pente, le premier et le dernier munis d'une perche pour capter l'électricité. De temps en temps, le préposé aux freins manuels "d'r Bremser" écartait, depuis la plate-forme, les branches trop proches de la prise de courant. Les gens faisaient connaissance ; on discutait, surtout après l'arrêt au Vogesahisla ! Et on arrivait "chez Enderlin", à la Croix d'Or, plein d'entrain, prêt à affronter une autre pente, ou tout simplement, parfois, pour attendre l'heure de la descente chez un ami.
La guerre de 1914-18 changea tout cela ; la ligne, vu la proximité du front, devint "militaire". Les trams, inlassablement, acheminaient des munitions et du matériel en direction du Linge et de ses tranchées. Les troupes montaient à pied, sauf en de très rares exceptions, mais les blessés étaient souvent descendus par la ligne.

Après la guerre commença pour 14 ans une nouvelle période, aussi romantique que la première. Les touristes fidèles ou occasionnels reprirent le tramway. Les jours de fête, c'était la grande affluence, le tram faisait jusqu'à 10 allers-retours. Les 3 wagons ne pouvaient transporter qu'une centaine de voyageurs au maximum, les bagages devaient être placés dans un lorry accroché en queue de convoi. Peut-être prit-on parfois quelque liberté avec l'horaire : les rails, les roues, les boggies étaient déjà relativement usés.
Il arriva un jour qu'après un arrêt gustatif au restaurant du Voge­sahisla, le conducteur fut pris d'une somnolence dans la montée et qu'il "oublia" de freiner en arrivant à la Croix d'Or. Le tram, culbutant le butoir, prit le sentier Louise, où les voyageurs descendirent sans dommage. Il fallait prendre le chemin du retour avant la nuit pour attraper la dernière correspondance en gare de Turckheim, où le "Bremser" touchait un petit pourboire après avoir déchargé les bagages de l'une ou l'autre notabilité. C'était pendant la descente qu'on était le plus heureux, on chantait.
 
Mais, avec le développement de l'automobile et des autobus, les clients se firent rares en semaine ; la ligne ne fut plus rentable. Le matériel avait vieilli et ne pouvait être remplacé.
 
En 1933, on décida de retracer la route de Turckheim aux Trois-Epis ; ce fut le coup de grâce. Le 31octobre de cette année-là, le tram fit son dernier aller-retour.


Texte extrait de la revue "120e anniversaire de la ligne Colmar-Turckheim-Munster-Metzeral".
Article écrit par Roger Ehrsam